Translation par Dominique Gunther. Merci "DoDo".
Le 21 juin 1994 à 11:00 A.M., l'explosion d'une mine antipersonnel tua notrefils Mark qui faisait du déminage en Croatie pour les Forces Canadiennes duMaintien de la Paix. Ceci a fait de nous, ma femme et moi-même, ainsi que deKelly, l'épouse de Mark, de leurs enfants, ses deux frères Leigh et Glenn, ses amiset ses proches, des victimes et des survivants Canadiens des mines antipersonnel.
La lettre ci-dessous avait été écrite par Mark pour Andrew Holota, éditeur de la revue ''The Surrey Leader" qui connaissait très bien Mark, pour l'avoir côtoyé au Kuwait, à Wainright et en Croatie. Mark ne posta jamais cette lettre car un jour, Andy lui fit une visite surprise au Camp Polom, et alors qu'ils se trouvaient tous les deux dans le quartier de campement de Mark, Mark lui remis cette lettre en main propre.Mark considérait Andy comme un ami très cher.
Mark Isfeld, octobre 1992
Camp Polom, Croatie
L'an dernier, alors que j'étais encore au Kuwait, ma femme et moi finalisionsnos projets de mariage. Au début, elle tenait à ce que nous célébrions notre mariagedurant l'été mais je lui expliquait qu'il serait préférable que ce soit pendant la période des Fêtes, tout d'abord parce que son anniversaire de naissance était le 27 décembre et ensuite parce qu'à cette date, il était à peu près certain que je serais toujours à la maison pour célébrer notre anniversaire. Cette année, nous célébrerons notre premier anniversaire de mariage ensemble, uniquement parce que mon sergent-major a tenu à ce que ma date de congé soit changée. Mais je serai de retour en Croatie le jour de l'anniversaire de ma femme. Nous célébrerons notre anniversaire de mariage et Noël ensemble: deux sur trois, c'est quand-même mieux que rien!
A mes yeux, la Croatie est une terrible cicatrice sur un visage qui fut jadis si beau! J'ai vu des églises, vieilles d'au moins 500 ans complètement détruites; un monastère d'une architecture à couper le souffle, et autour duquel se trouvait une arrière-cour remplie d'arbres fruitiers et de vignes, a lui aussi été détruit complètement; plus aucune voix humaine n'est perceptible. Je peux presqu'imaginer les moines faisant la cueuillette de leurs raisins en vue de préparer leur vin de messes.L'église possède un immense clocher sur lequel se trouve à l'avant, une magnifique mosaïque et là, sur le côté, une horloge est suspendue. Mais le temps s'est arrêté à ce lieu sacré de pélérinage. Les démons de la guerre ont fait de cet endroit historique un musée des horreurs.Aujourd'hui, mon coeur s'est déchiré lorsque j'ai aperçu une pauvre vieillefemme sans défense, sur le perron d'un appartement dont elle était l'uniquerésidente. Des gens dont les ambitions étaient plus importantes que la vie d'unepauvre vieille ont saccagé sa ville et l'ont dépossédée de tous ses biens, lacontraignant à fouiller dans les détritus pour se trouver des ustensiles. Je medemande si elle survivra à l'hiver!
Je ne cesse de me demander où sont partis tous ces gens? Il y a un videétrange! Que sont-ils devenus, eux qui avaient mis tant d'efforts et d'habileté à laconstruction de leur maison, une expertise qu'ils se transmettait de génération engénérations et dont il ne reste plus que des amoncellements de briques et de stuc.Comme ce doit être pénible pour eux d'avoir dû quitter leur logis, chassés par des étrangers assoiffés de sang et y revenir plus tard, pour ne retrouverqu'un tas de décombres!
Souvent lorsque nous nous promenons dans les campagnes, desgens nous montrent leur poing ou un doigt bien plaçé. Au début celam'irritait un peu car ce n'était vraiment pas une réaction à laquelle j'étais habitué.
Au Kuwait par exemple, j'en avais un peu marre de serrer des mains et de saluer des civils. Là-bas, les gens comprenaient que nous étions là pour les aider et les protéger.
Mais ici en Croatie, où personne ne fait confiance à aucun militaire quel qu'ilsoit, on nous perçoit un peu comme un problème. Mais je vais quand mêmecontinuer à faire mon travail de Gardien de la Paix pour aider ceux qui veulent lapaix. Je mettrai ma vie en péril tous les jours en utilisant la formation professionnelle que mon pays m'a donnée pour aider les populations civiles et protéger les soldats de l'ONU lors de leurs déplaçements et l'exécution de leurs tâches dangereuses.
Présentement, je vais d'un poste de contrôle à un autre et j'enseigne,aussi bien aux simples soldats qu'aux officiers, la manière d' identifier des mines"antipersonnel", "antichar" et différentes mines- pièges en plus de tous lesautres engins explosifs qui sont encore trop souvent utilisés. Nous nous efforçons deleur rappeler qu'un ingénieur a été tué, même s'il avait beaucoup d'expérience dansle domaine et qu'un caporal d'infanterie a perdu un pied alors qu'il se trouvait sur un territoire soit-disant déminé.
J'ai beaucoup de fierté en tant que Canadien et je suis fier de faire partie duCorps Canadien d'Ingénieurs, sans aucun doute le groupe de militaires les pluscompétents et les plus respectés du monde. Mon seul regret est de ne pas être avecmon régiment. Je me sens comme un fils adoptif qui n'a pas tout l'amour et lerespect qu'il mérite!
-( A cette époque, le régiment auquel appartenait Mark était cantonné à Daruvar et sa division était rattachée à l'infanterie)
Je dois dire que le soutien de ceux qui nous aiment, ainsi que de nos épousesqui nous manquent tellement, est sans pareil. Elles doivent faire preuve de couragepour pouvoir affronter seules les tempêtes, alors que leur conjoint est au loin etconstamment confronté à des situations dangereuses. Pendant qu'ici, on badine sur le fait que l'on se fait tirer dessus, ou que l'on trouve des mines, ceux qui nous aiment sont fous d'inquiétude pendant six mois. J'aime ma femme, et je suis très confiant dans mon habilité à me sauver du danger et cela est très clair pour moi. Mais comment peut-elle le savoir? Elle ne comprend pas ce qui me pousse à vouloir manipuler un engin explosif qui pourrait exploser au moindre toucher ou qui pourrait être piégé. La seule réponse que je peux lui fournir est que je suis conscient de ce que ces engins peuvent faire, mais les petits enfants et les civils eux, ne le savent pas. Mes connaissances sont là pour les protéger.
Les ingénieurs songent à toutes les vies qu'ils sauvent, pas à celle qu'ilsrisque!
Mark